Depuis 1998, le compositeur, producteur et alchimiste multi-instrumentiste colombien Eblis Álvarez, basé à Bogota, prépare un mélange fou de sons psychédéliques dans son studio-laboratoire sous le nom de Meridian Brothers. Ce n’est que l’un de ses nombreux projets musicaux, mais il est resté le plus cohérent, le plus gratifiant et le plus prolifique. Au fil des décennies, sous le nom de Meridian Brothers, il a publié une marée de musique stimulante, excitante et amusante, à la fois expérimentale et traditionnelle, ancienne et futuriste, imprégnée d’un sens du hasard et d’intentionnalité.
Aujourd’hui, Álvarez et son projet Meridian Brothers reviennent à Ansonia avec Mi Latinoamérica Sufre, un album conceptuel dont l’empreinte sonore est née du désir d’explorer le potentiel inexploité de la guitare électrique dans un contexte tropical latin. L’album s’inspire des traditions carillonnantes, claires et rythmiques complexes du highlife africain et de la musique des groupes de guitares soukous, des sons qui sont aussi populaires dans les danses du picó sound system de la côte colombienne qu’ils le sont sur leur terre natale de Mama Africa.
Borja Flames
Il a trois cerveaux, mille vies, passées ou parallèles et il s’appelle Borja Flames. Espagnol, parisien, bourguignon, cosmonaute, on ne sait plus.
Sa tête est celle d’un pope, d’un roi, d’un lion, d’un faune ou d’un centaure mélancolique. Il est bien habillé, avec des trous de boulettes et sa barbe : mérovingienne. On l’a connu dans June et Jim dont il était la face sud (à l’autre hémisphère : Marion Cousin) duo récemment transfiguré sous le nom Catalina Matorral, vraie pastorale électronique.
On l’a vu pour la première fois rebattre ses cartes en 2016 avec Nacer Blanco, premier album sous son nom dont les horlogeries pompettes, les totems façon Tour de Pise et les madrigaux osseux évoquaient Moondog, Robert Wyatt et le facteur Cheval, les uns dans les autres, n’importe comment.
Après quoi Rojo Vivo (2018) entre house toute blême et prédications ténébreuses nous fit peur et plaisir et danser.
Nuevo Medievo qui paraît aujourd’hui (Les Disques du Festival Permanent / Murailles Music) est encore plus beau, plus étonnant. Dès le début, chanté sur la pointe des pieds, la voix argentée d’effets robotiques sur une descente de lit synthétique piquée de cymbales, on se sent tête nue dans un vaste cabinet d’étoiles, on est captivés. Il y a des rayons laser, des paroles d’oracle au vocoder. Paul Loiseau, le batteur morse, fait sonner toute la cuisine comme un orchestre de calculatrices défoncées, puis Borja Flames accélère le pouls du disque d’une diction de présentateur de journal télévisé mal luné sur un fond jungle avant que Marion Cousin et Rachel Langlais fassent tout chavirer, qui d’une vocalise saturnienne, qui d’un synthé bizarrement réglé.
À partir de quoi partout tombent des hits, des vrais, en pluie d’astéroïdes.
Negro Negro est suave, mystérieuse, émouvante, surprenante comme un baiser qu’on n’espérait plus. On voudrait n’écouter plus qu’elle mais vient alors Magnetismo qui rend débile de joie. Puis Marioneta, sec et aéré comme du Prince période Sign O’The Times, et sur lequel on n’a pas fini de danser, même seul avec sa tête sous le bras. Nuevo Medievo va ainsi de tout son long, raide et groovy, cérébral mais explosant de tumeurs rêveuses. Puissamment divertissant, rempli de rythmiques impaires, de chorales d’ordinateurs, de claviers qui glissent et font glisser. Nuevo Medievo rappelle un peu la scène synth-wave et le post punk ibérique des années 80. Il évoque aussi des versions lo-fi des tubes SF panoramiques du Franco Battiato de No Time No Space (mondes lointainissimes, recherche sonore, refrains maousses), l’Arthur Russel disco, ou même Porque te vas, oui oui, Sade, des faces B Motown jouées à l’IRCAM un soir de franc laisser-aller, Marvin Gaye et Tammy Terrel en plein slow sous les néons anachroniques d’un bar à chicha ou les B.O de Miami Vice importées dans les rushes de Blade Runner.
Si Nuevo Medievo comme tous les disques de Borja Flames, mélomane cannibale, convoque un certain nombre d’autres d’artistes, c’est pour organiser entre eux des rencontres inattendues, et les disséquer chacun dans une pulsion à la fois scientifique, érotique, amoureuse et gastronomique avant de s’en affranchir et de tirer dans toutes les diagonales des traits authentiquement inouïs. Faites-lui la fête.